Devenir Cible – Qui sont les nuisibles ?

Une expo, une bédé, un texte, un fanzine et une page de ressources.

Invitée par Boitaqueer, j’ai construit cet expo pour les vitres de la médiathèque JP Melville et bibliothèque Marguerite Durand, Paris 13e. C’était du 09 au 26/11/23, il reste un fanzine à télécharger !

Devenir Cible

En juin, je découvre le communiqué de presse de deux syndicats majoritaires de la police française, qui qualifient de nuisibles les jeunes, les enfants, des quartiers populaires qui se révoltent après le meurtre policier d’un des leurs.

Quelques temps avant, une journaliste qualifiait les trans d’épidémie, une maladie, menaçant de contaminer les autres enfants.

A la rentrée scolaire, les jeunes filles musulmanes ont été la cible du gouvernement et de la sphère médiatique d’extreme droite. Elles ont été décrite comme des menaces à la république à cause du port de robe longues…

Un journaliste a rapproché la diffusion des punaises de lit à la présence d’exilé.e.s.

Encore plus récemment le premier ministre israélien a qualifié les civils de la bande de Gaza d’animaux humains.

Cette rhétorique se fait omniprésente. Des minorités décrites comme menaçantes et nuisibles. Cette rhétorique allant jusqu’au champ lexical du génocide, comparer des humains à des animaux nuisibles. Qu’est ce que ça dit de notre rapport aux animaux ? Qu’est ce que ça dit du racisme et de la transphobie ?

Qualifier un groupe de nuisible, c’est déjà envisager ou prévoir sa destruction.

Dans le même temps, la nouvelle liste des animaux « nuisibles » est publiée. La liste est officielle et contient les animaux décrétés nuisibles, à coté duquel on note le nombre d’individu à « détruire » (c’est le mot utilisé). Les nuisibles sont ensuite chassés par les société de chasse, qui sont donc censées rendre service en nous débarrassant de ces animaux qui nous nuirait.

Mais qui trouvent ces animaux nuisibles et à qui nuisent-ils ?

La question est posée par les associations naturalistes. Le choix des animaux se fait en fonction des « incidents » déclarés par les agriculteurs, pour la plupart eux-aussi chasseurs. Des associations comme la Ligue de Protection des Oiseaux, nous rappelle que cette vision du « nuisible » est juste une défense des intérêts de pratiques agricoles productivistes, que le Geai des Chênes, qui est lui aussi sur cette liste, est le plus grand planteur d’arbres. Les mustélidés (belette, martre, putois…) sont aussi très représentés dans la liste. Certes ils peuvent s’attaquer aux cultures, mais ils chassent massivement les rongeurs ce qui évitent de nombreux dégâts.

Voir l’autre comme nuisible c’est un regard, partiel, biaisé, basé sur des intérêts propres. Il n’y a pas de nuisibles en soi (sauf les punaises de lit). C’est pourquoi j’ai choisi de faire parler ces animaux « nuisibles » pour dénoncer cette construction de l’autre comme une menace, d’envisager sa destruction, de vouloir détruire et prendre tout pouvoir.

En ces temps d’effondrement de la faune sauvage, comment voir que ce sont les humains qui nuisent ? Et parmi les humains, ceux des pays riches bien plus que les autres.

Je répète : déclarer quiconque de nuisible c’est envisager sa destruction.

Défendre des intérêts égoïstes, faire de l’autre un ennemi, vouloir le détruire. Ce qui se passe est inquiétant et d’une extrême violence pour toutes les personnes ciblées par cette déshumanisation.

Kaoutar Harchi, écrivaine et sociologue, a écrit un article « Les animaux avec nous, nous avec les animaux », qui a soutenu mes réflexions autour de cette question, moi qui suis blanche. Pour elle, si nous continuons d’« animaliser » les animaux, nous continueront d’« animaliser » des groupes d’humains notamment les personnes noires et non-blanches, particulièrement les femmes noires et non-blanches.

Faire d’êtres sensibles, un groupe que l’on peut exploiter ou tuer, c’est ce qui justifiera d’appliquer cette absence de considération et cette extrême violence à d’autres groupes, humains cette fois-ci.

C’est face à ce danger qu’il est si important de créer des ponts entre les minorités, entre les personnes ciblées et de refuser et combattre les discours qui font d’un groupe, d’une minorité, un soit-disant « nuisible ».

Ce qui nous nuit actuellement collectivement, c’est la destruction de la protection sociale et des services publiques et notamment de l’hôpital et de l’école, c’est l’omniprésence des discriminations, la destruction du vivant à travers l’agriculture mortifère, les industries climaticides, les projets inutiles et violents (coucou aux belettes vivants sur le tracé de l’A69, aux martre vivant près des mégabassines, aux marmottes proche du TAV), c’est de créer plus de pauvreté et d’injustices en imposant des heures de travail non rémunéré (qui conditionnent le versement du RSA) en détruisant le droit du travail, c’est les institutions qui enferment les personnes handicapées et les excluent de la vie commune, c’est les personnes qui doivent vivre dans la rue, c’est les guerres impérialistes, c’est les violences de toutes sortes de celleux qui ont le pouvoir sur celleux qui ne l’ont pas, c’est la hiérarchie des vies et la négation des besoins fondamentaux…

C’est tout cela et bien d’autres choses qui nous nuisent.

Ce ne sont ni les jeunes filles musulmanes qui veulent suivre des cours, ni les jeunes des quartiers populaires qui refusent la brutalité policière, ni les exilés qui cherchent une vie meilleure, ni les personnes trans qui veulent une vie de paix, ni les personnes pauvres qui cherchent à survivre, ni aucune autre minorité, ou majorité sans pouvoir.

Nous refusons de devenir cible.

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